Les inhibiteurs de tyrosine kinase sont aujourd’hui utilisés avec beaucoup de succès dans le traitement de la leucémie myéloïde chronique (LMC). Après l’imatinib, le nilotinib et le dasatinib sont entrés en clinique. Ces essais diffèrent en termes de réponse au traitement et en termes de survie à 6 ans (40-57% et 74 er patients). Les effets secondaires des médicaments se limitent à des symptômes cutanés et gastro-intestinaux et à des modifications de la numération sanguine avec l’imatinib, à des lésions hépatiques avec le nilotinib et à des épanchements pleuraux et un manque de plaquettes sanguines (thrombocytes, ce qu’on appelle la thrombocytopénie) avec le dasatinib. Le bosutinib et le ponatinib sont également disponibles et doivent être utilisés en présence de la mutation T 315 au pronostic défavorable. En outre, l’interféron peut être utilisé sous forme pégylée si nécessaire, mais cela nécessite une demande à la caisse d’assurance maladie en raison des coûts.
Aujourd’hui, le déroulement de la thérapie doit être enregistré avec précision. La réponse après un an est particulièrement importante. La rémission moléculaire est mesurée. L’objectif thérapeutique est atteint lorsque le taux de BCR-ABL est tombé à 0,1 % ou plus (bonne rémission moléculaire ou rémission moléculaire majeure égale RMM). Idéalement, le RMM devrait être atteint après 12 mois. Chez certains patients, le taux de BCR-ABL diminue pour atteindre une rémission moléculaire profonde : 0,01 % (MR4), 0,0032 % (MR4.5) ou 0,001 % (MR5).
Une rémission moléculaire profonde est particulièrement importante pour les patients qui souhaitent arrêter le traitement en toute sécurité. Si ces valeurs profondes sont durablement atteintes, il est aujourd’hui possible d’oser arrêter l’inhibiteur de tyrosine kinase dans une phase chronique stable, sous un contrôle strict des résultats de la génétique moléculaire. Cela doit se faire dans le cadre d’études dans des conditions définies, où dans certains cas un traitement de transition avec l’interféron est également effectué. Si les inhibiteurs de tyrosine kinase sont arrêtés et que la leucémie myéloïde chronique réapparaît (rechute), celle-ci peut généralement être traitée à nouveau avec succès sans perte d’efficacité.
La question reste ouverte de savoir si une intensification précoce par l’utilisation rapide de différents inhibiteurs de tyrosine kinase est plus efficace à long terme, et si la profondeur de la rémission initiale se traduit par une survie plus longue.
Les thérapies
Les thérapies pour les personnes qui souhaitent avoir des enfants constituent un défi particulier. Si l’arrêt du traitement n’est pas encore justifié, le passage à l’interféron peut être utile, bien que la forme pégylée soit à éviter dans ce cas.
Une réponse insuffisante au traitement doit conduire à un changement d’inhibiteur de tyrosine kinase avant que la formule sanguine ne change. En cas de crise blastique, une transplantation de cellules souches est toujours possible en plus d’un changement de traitement par tyrosine kinase. Cela doit être planifié le plus tôt possible, et le patient doit être présenté à un centre expérimenté. L’utilisation de la vincristine et de la dexaméthasone dans les rechutes de blast lymphatique ou l’utilisation autrefois courante de l’hydroxyurée n’ont eu qu’un effet palliatif de courte durée.
D’autres nouveaux inhibiteurs de tyrosine kinase devraient à l’avenir également réduire la mortalité des patients qui ne répondent pas encore au traitement (patients réfractaires) dans cette maladie, qui était le plus souvent mortelle dans les années 1980. Enfin, il convient de signaler les traitements de soutien (tels que la substitution sanguine, la prophylaxie et le traitement des infections) en cas de leucémie myéloïde chronique (LMC), en particulier si le traitement par tyrosine kinase entraîne une carence en globules rouges et en plaquettes (leucopénie et thrombopénie) ainsi qu’une anémie.
Symptômes généraux
L’état général est bien conservé au début. La fièvre est absente ou se réduit à des fébricules. Pourtant le patient éprouve de la fatigue, des sueurs, de l’inappétence, parfois de la dyspnée. Certains sujets peuvent au début être suspectés d’hyperthyroïdie : on trouve en effet un métabolisme de base accru, mais c’est par suite de la prolifération leucémique (hypermétabolisme de tous les états néoplasiques).
Cytogénétique et étiologie
Anomalies initiales
Chromosome de Philadelphie (Ph)
C’est un chromosome 22 raccourci sur son bras long, résultat le plus souvent d’une translocation réciproque t(9;22)(q34;q11) dite standard. Il est présent, sous cette forme ou d’autres, dans plus de 90 % des cas.
Points de cassure géniques
- situé sur le chromosome 9 (où on note un gain de longueur sur le bras long), dans le grand intron 1 du gène ABL qui, par son produit, nucléaire et cytoplasmique, contrôle, avec ATM, RB1 et p53, la multiplication cellulaire, notamment si des lésions de l’ADN requièrent réparation ;
- et sur le chromosome 22, entre les exons b2 et b3 ou b3 et b4, dans les quelques kb de la zone M-bcr du gène BCR, où les points d’impact de toutes les malades sont groupés.
Le néogène BCR/ABL
Un néogène chimérique se forme : BCR/ABL. La partie initiale de BCR, avec son promoteur, restée sur le chromosome 22, est mise en continuité avec le fragment d’ABL, représentant la presque totalité du gène, venu du chromosome 9.
Le messager est traduit en une protéine hybride, p210 Bcr-Abl (de 210 kDa). Elle domine largement, associée à une faible quantité d’une forme plus courte, p190, provenant ici d’un épissage alternatif du messager (isolée, elle caractérise les leucémies aigües lymphoblastiques).
Variantes
Les translocations complexes (un peu moins de 10 % des cas) impliquent un ou plusieurs chromosomes en plus du chromosome 9 et du chromosome 22, mais ont toujours pour résultat la production de protéines b2/a2 ou b3/a2.
Chez 5 % des patients, BCR/ABL peut être mis en évidence alors que le caryotype est normal. Dans ces LMC Ph- BCR/ABL+, d’aspect et d’évolution habituels, c’est le seul marqueur de la population maligne et on doit recourir à la biologie moléculaire (et/ou l’hybridation in situ) pour identifier ces cas et les suivre.
L’influence respective de ces diverses espèces protéiques reste controversée. Il existe de rares formes, à p230, dites à polynucléaires, avec souvent aussi une hyperplaquettose d’évolution plus lente et une entité myélomonocytaire, rare, agressive, à p190.
LMC dites atypiques
Environ 5 % des cas évoquant avant tout au départ des LMC n’ont ni Ph ni fusion BCR/ABL. Des nuances hématologiques distinguent ces hémopathies, d’évolution plus défavorable.
Anomalies secondaires
Des anomalies chromosomiques additionnelles (chromosomes surnuméraires + 8, + Ph, + 19, présence d’un iso 17q) et/ou géniques (frappant p53, p16, Rb) sont quasi constantes au moment de la TA. Elles résultent d’une instabilité génomique, qui dépend de Bcr-Abl et est partie intégrante de la LMC. Elle pourrait être liée, au moins en partie, à une méthylation anormale de divers sites de l’ADN. Le nombre et la nature de ces anomalies influencent le pronostic, le choix thérapeutique et l’évolution de la maladie.
Évolution et pronostic
La leucémie myéloïde chronique (LMC) est longtemps restée une maladie de mauvais pronostic, se transformant inévitablement en leucémie aiguë pouvant échapper à toute possibilité thérapeutique.
La greffe allogénique de moelle osseuse était alors le seul traitement curatif disponible, mais tous les patients ne pouvaient pas en bénéficier, les donneurs compatibles étant rares et son taux de mortalité approchant les 20 %.
Depuis le début des années 2000, des nouvelles thérapies dites ciblées, permettant de freiner la croissance anarchique des cellules cancéreuses, ont transformé le pronostic de la maladie. Les patients atteints de LMC peuvent désormais espérer voir leur état se stabiliser au point de permettre la poursuite d’une activité professionnelle, sous réserve d’un traitement continu, avec une espérance de vie normale. Le premier représentant de ces nouvelles thérapies est l’imatinib mésylate (Glivec), inhibiteur compétitif de l’activité tyrosine-kinase BCR/ABL. Il a reçu en 2001 l’autorisation européenne de mise sur le marché en tant que médicament orphelin pour le traitement de la leucémie myéloïde chronique.
Diagnostics différentiels
La LMC ne peut guère être confondue qu’avec les réactions leucémoïdes qui sont des états non-leucémiques dans lesquels le tableau hématologique et parfois le tableau clinique (anémie, grosse rate, hémorragies) présentent une certaine ressemblance avec les leucémies. Le diagnostic différentiel peut être éventuellement une thrombocytémie essentielle. Le caryotype permet de différencier totalement la pathologie.
Complications
Vasculaires : thromboses et hémorragies
La thrombocytose et la thrombopénie qui accompagne tout syndrome myéloprolifératif peut être la cause de thromboses veineuses et d’hémorragies (penser à l’ulcère gastroduodénal). La thrombopathie qui peut être associée majore le risque hémorragique.
Vasculaires : leucostase
La leucostase due à l’hyperleucocytose peut provoquer une insuffisance respiratoire aiguë. Au fond d’œil, on peut également observer une rétinite leucémique.
Métaboliques : hyperuricémie
L’hyperuricémie, conséquence de l’hyperleucocytose, peut se manifester par des crises de goutte ou des coliques néphrétiques
Hématologique : splénomégalie
La splénomégalie peut se compliquer d’une hémodilution et d’un hypersplénisme s’accompagnant d’une thrombopénie et d’une anémie. Lorsqu’elle est majeure, il peut y avoir des infarctus spléniques voire un risque de rupture splénique.
Hématologique : insuffisance médullaire
La myélofibrose qui accompagne la maladie peut être la cause d’une insuffisance médullaire. On retrouve alors une pancytopénie (anémie, thrombopénie et neutropénie) se manifestant par une asthénie, des hémorragies et des infections à pyogènes. L’insuffisance médullaire peut également être due à un envahissement médullaire par des cellules immatures, les blastes, au cours de la phase accélérée ou aiguë de la maladie.
Hématologique : leucémie aiguë
La transformation en leucémie aiguë secondaire ou acutisation est constante lors de l’évolution non traitée. Dans 70 % des cas, il s’agit d’une leucémie aiguë myéloïde, dans 20 % d’une leucémie aiguë lymphoïde et dans 10 % d’une leucémie aiguë indifférenciée. La transformation se manifeste par une altération de l’état général, l’apparition d’un syndrome tumoral, d’une insuffisance médullaire et par une augmentation des blastes sur l’hémogramme. De très mauvais pronostic, l’évolution de cette leucémie aiguë secondaire est habituellement fatale en moins de 6 mois. Les traitements actuels, greffe de moelle, interféron, Glivec ont transformé le pronostic.
Traitement
À de très rares exceptions près, la leucémie myéloïde chronique reste incurable. Avant l’arrivée récente des thérapies ciblées, la médiane de survie, avec les médicaments classiques comme le Misulban et l’Hydréa était de 5 ans et l’issue était constamment fatale par transformation en leucémie aiguë. Le traitement visait à retarder au maximum la transformation aiguë et à contrôler l’hyperleucocytose pour prévenir les complications.
Une guérison est possible après transplantation de moelle osseuse soit familiale (fratrie) soit donneur non familial pour les patients de moins de 50 ans. L’interféron alpha obtient des rémissions beaucoup plus longues.
Plusieurs révolutions médicamenteuses sont également en cours, avec l’apparition, depuis la fin des années 1990, sur le marché de nouveaux médicaments: ainsi le Glivec, le Sprycel, ou bien encore le Tasigna. En ce qui concerne le Glivec (Imatinib) il transforme radicalement le pronostic, en permettant aux patients, sous réserve d’un bon suivi du traitement, d’avoir une espérance de vie normale, et une bonne qualité de vie. Ce traitement mis sur le marché en 2001 permet en effet de cibler les cellules cancéreuses: l’anomalie chromosomique de la LMC provoque une translocation entre les chromosomes 9 et 22 (au niveau des gènes bcr et abl) qui permet la formation d’une protéine qui possède une activité tyrosine kinase aberrante (exacerbée). Or, c’est cette activité qui « donne l’ordre » aux cellules de proliférer de façon anarchique et les empêche de subir l’apoptose (mort cellulaire programmée). Le Glivec a une action inhibitrice de l’activité tyrosine kinase de bcr-abl car il va se fixer sur le site de liaison de l’adénosine triphosphate de la protéine, l’empêchant de fonctionner correctement et de donner ses ordres de prolifération cancéreuse. C’est donc un traitement ciblé à ce jour qui est maintenant utilisé en 1re intention.
Le Glivec est un médicament très cher. S’il est remboursé à 100 % par la Sécurité Sociale en France et depuis 2002 en Belgique, beaucoup de malades des pays pauvres ne peuvent y avoir recours. Cette situation entraîne les protestations de nombreuses associations humanitaires. La Cour suprême de New Delhi a rejeté le brevet déposé par la société Novartis afin de permettre le développement d’un médicament générique accessible au plus grand nombre, au grand dam des sociétés pharmaceutiques qui s’inquiètent des répercussions que cela pourrait avoir sur l’innovation médicale.